Annamaria Testani (AT) et Martin Lefebvre (ML)
(AT)
Bienvenue tout le monde à notre Balado BNI. Je m’appelle Annamaria Testani. Je suis Vice-présidente principale chez Banque Nationale Investissements et suis très heureuse aujourd’hui d’accueillir un invité de marque, Martin Lefebvre, notre Chef des placements, qui nous apporte une foule d’informations très intéressantes. Martin, bienvenue à notre émission!
(ML)
Bonjour Annamaria, je suis heureux d’être avec toi aujourd’hui.
(AT)
Vous savez quoi? Je suis heureuse de dire que le printemps est terminé, que l’été est à nos portes et que maintenant tout rouvre, nous avons donc tous très hâte de savoir ce que cela signifie pour beaucoup d’entre nous. Mais avant de commencer à parler de l’avenir, faisons un bref retour en arrière. Martin, selon toi, quelles bonnes leçons avons-nous tirées de ce que nous avons vécu depuis les 12 derniers mois jusqu’à aujourd’hui et qu’en penses-tu en ce qui concerne notre orientation future?
(ML)
Annamaria, je ne sais pas par quoi commencer au juste avec tout ce qui s’est produit pendant les 12 derniers mois, comme tu le sais bien. Mais une des leçons, c’est qu’il ne faut jamais aller à contre-courant de la Fed et des autres banques centrales.
(AT)
Et qu’est-ce que ça signifie? Pour l’investisseur moyen?
(ML)
Bien, nous essayons toujours de rester au-devant de la courbe par notre positionnement et de prédire ce que les banques centrales devraient faire, mais le fait est que ce sont elles qui ont le contrôle; elles ont abaissé les taux d’intérêt à zéro et elles ont agi promptement; elles ont aussi été appuyées par les gouvernements, parce qu’une fois que les taux d’intérêt sont à zéro, il n’y a pas grand-chose de plus qu’elles peuvent faire pour stimuler l’économie. Mais elles ont été bien secondées par les gouvernements qui ont pris le relais, et maintenant, ce que nous savons, c’est que depuis l’effondrement du marché en mars, nous avons enregistré une hausse spectaculaire.
Sur une période d’un an, je pense que le marché a rebondi de plus de 75 %, si bien que ce qui s’est passé ces derniers trimestres est réellement énorme, même si beaucoup pensent que nous sommes encore en mode de crise. Mais il s’est produit beaucoup de choses; des vaccins ont été créés, la population a été vaccinée rapidement et aujourd’hui nous avons la chance de dire que le Canada est un chef de file dans tout cela et pourra probablement se déconfiner à très grande échelle.
(AT)
De quoi être fiers, n’est-ce pas? Comme, fiers du fait que... Mais je pense que tu sais que la leçon tirée est que rien n’est linéaire. Ainsi, quand le marché est bombardé d’insécurités – et la plupart d’entre nous ne savaient ce qu’une pandémie voulait dire –, nous avons l’habitude d’une réflexion linéaire. Je crois que la leçon que nous avons apprise est que rien n’est linéaire dans les réactions du marché, et dans la manière dont les fournisseurs peuvent influencer le marché.
Alors, où en sommes-nous aujourd’hui? Surtout quand on considère d’où nous venons et vers quoi nous nous dirigeons?
(ML)
Les marchés ont, comme je l’ai dit, rebondi très fortement et cette tendance a continué depuis le début de l’année. Je pense que le seul point faible a été le marché obligataire, qui a réagi à tout ce regain d’optimisme pour l’économie. En ce qui concerne la croissance, nous sommes passés de l’hypothèse du scénario le plus cauchemardesque à la constatation que « les choses ne semblent pas aller si mal après tout », parce qu’il y avait tant d’argent oisif pendant si longtemps et que son déploiement trouve moyen de contribuer à la croissance économique.
Ainsi, au début de l’année, nous nous attendions à une croissance de l’ordre de 3 % à 3,5 % en Amérique du Nord. Maintenant, elle va dépasser 6 %, donc, il y a clairement eu une forme de reprise en V et juste pour cela, il était anormal de voir les taux d’intérêt se maintenir à leurs niveaux abyssaux où se situaient les rendements avant la pandémie, autour de 1,5 % et 2 %. Nous pensons qu’ils resteront probablement aux alentours de ce niveau dans un avenir rapproché. Mais les actions ont très bien tiré leur épingle du jeu – celles des États-Unis sont en hausse de 12 % depuis le début de l’année.
Le Canada se porte formidablement bien parce que les secteurs cycliques se sont surpassés, certaines matières premières sont en hausse, de même que l’énergie et que les petites capitalisations. Il s’est produit une permutation entre les valeurs dominantes. Les actions de la technologie de l’information ont été supplantées par les actions cycliques et les titres de valeur, depuis le début de l’année. Nous pensons qu’il reste un potentiel de hausse, mais il y a de très importants risques à surveiller à l’avenir, Annamaria.
(AT)
D’après ce que je comprends, ne pas essayer d’anticiper le moment où le marché bascule n’a jamais été une leçon plus précieuse que ces 15 derniers mois. Chercher à viser le moment le plus propice ne nous aurait pas rendu service. Comme tu dis, il est si volatil, si risqué. Il bouge, mais il se rattrape et croît aussi, et on ne peut pas prédire quand cela se produit. Maintenir les investissements en place est probablement une des leçons clés, bien qu’on nous ait dit de le faire depuis 50 ans. C’en est une très bonne illustration.
Tu as mentionné quelque chose d’intéressant, Martin, en faisant allusion aux risques. Tu as évoqué une croissance de 12 % et plusieurs chiffres étonnants. Mais quels sont les risques qui nous guettent et qui pourraient nous faire trébucher?
(ML)
Une des craintes des participants du marché actuellement, c’est une éventuelle surchauffe. Nous voyons déjà des poussées d’inflation par-ci, par-là, donc le principal risque est celui-là.
(AT)
Comment le voyons-nous?
(ML)
Nous le voyons dans les statistiques de l’inflation qui ont un peu remonté. Nous savons qu’une partie de ce regain de l’inflation est lié à ce que nous appelons des effets de base. Rappelez-vous où nous en étions il y a 12 mois; nous étions alors en déflation, en pleine pandémie.
Aujourd’hui, nous assistons au processus inverse. L’inflation a repris simplement à cause des effets de base, et nous savions que cela allait se produire. Mais elle était un peu plus forte que ce que justifie l’effet de base à cause de certains déséquilibres de l’offre et de la demande. Et beaucoup d’argent cherche maintenant un débouché.
(AT)
Donc des déséquilibres de l’offre et de la demande. Pour nous, qu’est-ce que cela signifie? Pour nous qui ne le vivons pas tous les jours, à quoi cela ressemble-t-il?
(ML)
Cela signifie qu’il y a beaucoup d’argent dans les poches alors que l’économie rouvre et que nous sommes prêts à le dépenser, mais à cause de la pandémie, l’offre a été perturbée, la production a été affectée de multiples façons. Pour ne donner qu’un exemple, parlons des semi-conducteurs qui ont eu un impact immense sur la production de nouveaux véhicules aux États-Unis.
Les gens ont dû se tourner vers le marché d’occasion et nous avons vu le prix des voitures d’occasion bondir d’un mois à l’autre de plus de 10 % aux États-Unis. Cela ne se voit jamais, normalement. Ainsi, une fois que les semi-conducteurs redeviendront disponibles et que la demande ralentira un peu, nous reviendrons à une certaine forme d’équilibre. C’est pourquoi les marchés et les banques centrales croient que nous nous trouvons actuellement davantage dans une phase transitoire, et que ce n’est pas le début d’un mouvement important en termes d’inflation future. Il faudrait pour cela traverser une phase d’augmentation constante des salaires, pas seulement pendant quelques mois, mais une phase plus durable de hausse des salaires aux États-Unis et dans le monde.
(AT)
Mais dirais-tu que le risque est celui d’une inflation inattendue ou que c’est celui de juste un peu plus d’inflation que ce à quoi nous nous sommes habitués depuis trois ou quatre ans? Quelle est la différence entre les deux situations?
(ML)
La différence est énorme. Ce que nous disent les banques centrales, c’est qu’elles sont prêtes à laisser l’inflation filer un peu au-dessus de l’objectif traditionnel de 2 %. Aujourd’hui, elles sont disposées à dire que l’inflation doit se situer en moyenne à 2 %, ce qui veut dire que de temps en temps elle peut dépasser les 2 %. Il est difficile de générer de l’inflation. Nous savons que le Japon a eu beaucoup de difficultés à se sortir de cette crise. Nous avons vu cela en Europe aussi au cours de la dernière décennie; c’est très difficile. L’objectif est d’engendrer de l’inflation. Mais la pression à la baisse des prix par l’innovation technologique, la robotisation et la mondialisation que nous vivons quotidiennement est si forte que cela entrave tout effort pour faire monter les prix.
La clé dans tout cela, et vous avez raison, ce sont les attentes. Si bien que la seule façon dont le marché ou la population seront en mesure de générer de l’inflation c’est que dans l’esprit de chacun s’ancre l’idée qu’il va y avoir de l’inflation. Je vais vous donner un exemple : pensez au marché immobilier résidentiel, c’est une bonne illustration, parce qu’actuellement vous pensez être prêt à acheter une maison, mais vous êtes prêt à attendre de voir si les prix vont baisser. Si vous pensez que le prix va monter, vous allez probablement –
(AT)
Payer plus cher.
(ML)
– acheter cette maison immédiatement plutôt que d’attendre que sa valeur monte de 10 % ou 20 % au cours des prochains mois. C’est exactement l’opposé de la déflation. La déflation c’est quand vous pensez avoir besoin d’acheter un réfrigérateur, par exemple, mais que pouvez attendre un peu, parce qu’il n’y a pas d’urgence et que vous savez que le prix va baisser de semaine en semaine. Dans ce cas, vous attendrez probablement que le prix atteigne un plancher. C’est en quelque sorte ce phénomène que nous vivons actuellement, mais pour le moment, ce que nous voyons c’est que, que ce soit basé sur le marché ou sur les consommateurs, on pense que la situation est transitoire par nature.
(AT)
Tu sais, c’est très intéressant, et à ton point, le temps, c’est de l’argent. Ce que je comprends de ton propos, depuis le début, c’est que le temps c’est de l’argent et que rester sur la touche ne nous aide guère comparativement à la perspective de la consommation ou de l’investissement.
Nous avons eu 15 mois intéressants; nous avons vécu un bouleversement; les répartitions des actifs ont subi des pressions de beaucoup d’angles différents à la fois. Où allons-nous à partir de là? Dans l’examen des actions et des obligations, qu’est-ce qu’il faut garder à l’esprit quand nous construisons les portefeuilles et nous nous demandons comment communiquer cela aux clients?
(ML)
Je pense que nous avons tiré plusieurs leçons de ces derniers mois. D’une part, j’ai commencé par vous dire que le trimestre a été difficile pour les investisseurs en obligations, avec des rendements de 0,5 % à 1,75 % à peine, à peu près. Donc, c’est une énorme perte de capital qui s’est produite pendant cette période, mais la partie n’est pas finie pour les obligations.
Nous avons appris ces dernières semaines, voire ces derniers mois, que le marché obligataire se stabilise maintenant. La moindre mauvaise nouvelle a contribué à amener les rendements là où ils en sont aujourd’hui, mais tant que l’inflation n’est pas hors de contrôle, les rendements obligataires se stabiliseront sans doute autour du niveau actuel.
La Réserve fédérale et la plupart des banques centrales nous ont dit qu’elles étaient prêtes à attendre et sont prudentes dans leur démarche pour s’assurer que le fossé de l’emploi – qui est encore béant puisqu’il reste près de 8 millions d’emplois –
(AT)
À combler.
(ML)
– avant de revenir au niveau d’avant la pandémie, ce qui représente une énorme hausse. Les banques centrales laisseront sans doute les taux d’intérêt à leur niveau actuel pendant un avenir prévisible, probablement jusqu’à la fin de 2022, si ce n’est pas plus.
Rien qu’à cause de cela, nous devons être prudents et ne pas remanier nos portefeuilles à la hâte ni rien faire de ce genre. Cela dit, nous avons toujours le sentiment qu’il reste beaucoup plus de potentiel sur les marchés des actions. Je sais que certains investisseurs les trouvent chères à des prix allant jusqu’à 20 fois le bénéfice prévisionnel, mais ce qui est important, c’est ce que nous appelons la prime de risque des actions. Une fois que vous tenez compte du fait que les taux d’intérêt sont très bas maintenant, historiquement bas, la prime de risque des actions est d’environ 5 %, et rien qu’à cause de cela, je pense que les investisseurs continuent d’être bien rémunérés pour le risque qu’ils prennent en investissant en bourse.
Et, Annamaria, nous savons, vous et moi, que le marché boursier sera volatil et continuera d’être volatil, qu’il y aura des replis ici et là, de 5 % voire de 10 % par moments, mais si vous investissez dans une perspective de long terme, c’est-à-dire pour plus d’un an au moins, il y a des chances que la bourse continue de vous rapporter d’excellents rendements.
(AT)
Ce que j’entends, c’est que nous avons une période intéressante devant nous. Je pense à nouveau qu’un des risques est de la croire linéaire. De nombreux éléments entrent sont en jeu. Et je pense, encore une fois, que ce qui est réellement intéressant à propos de ton rôle c’est que tu interagis constamment avec un certain nombre de sociétés différentes au Canada et aux États-Unis, que tu considères tous ces facteurs et que tu vises la répartition des actifs qui donne le meilleur compromis risque-rendement dans tout portefeuille dans son ensemble.
Le passé n’est pas indicateur de ce à quoi il faut s’attendre à l’avenir, mais on a parfois tendance à oublier les leçons qu’on en tire. Nous sommes toujours occupés à essayer de savoir ce que nous apportera le prochain trimestre. Ce que j’en retiens, c’est qu’il ne faut pas présumer que les choses évolueront en ligne droite, ne vous attendez pas à cela, n’allez pas au-delà des attentes, atténuez-les, gérez-les convenablement. Il y aura des occasions à saisir. Vous entrevoyez de belles occasions à l’avenir, mais celles-ci s’accompagnent d’une volatilité potentielle avec toute nouvelle information qui apparaîtra sur le marché.
Je pense que pendant les deux prochains trimestres, il faudra assurément laisser ses investissements placés et se projeter dans l’avenir pour voir ce qu’il en ressortira. Merci Martin. Cela a été un segment très instructif et bien sûr, ma chienne est d’accord avec vous parce qu’elle adore vous entendre faire le point sur le marché. Qui n’aimerait pas cela?! Sur ces mots, merci d’avoir pris le temps de nous parler; je me réjouis de vous reparler dans les prochaines semaines ou les prochains mois.
Merci à tous nos auditeurs, nous nous réjouissons d’avoir de vos nouvelles prochainement, tenez-nous au courant et dites-nous de quoi vous aimeriez entendre parler. Prenez soin de vous.
(ML)
Au revoir.