Martin Lefebvre
Bonjour tout le monde, mon nom est Martin Lefebvre, je suis chef des placements chez Banque Nationale Investissements. Merci beaucoup de vous joindre à ce podcast BNI. Aujourd'hui, notre discussion va porter sur le revenu fixe et plus précisément sur les prêts bancaires de premier rang. Et pour nous dresser un aperçu de cette catégorie d'actifs, je reçois Sébastien Rhéaume d’AlphaFixe Capital. Bonjour Sébastien.
Sébastien Rhéaume
Bonjour Martin.
Martin Lefebvre
Sébastien, avant qu'on commence, peut-être nous donner un bref aperçu de ce qu’est cette catégorie d'actifs, qui un peu moins populaire auprès des investisseurs canadiens.
Sébastien Rhéaume
En fait, un peu moins populaire au Canada, mais très présente aux États-Unis, puis vous allez comprendre pourquoi. La catégorie d'actifs est issue du processus bancaire traditionnel. La raison pour laquelle elle est moins connue au Canada, il y a deux éléments : premièrement, nos compagnies ont tendance à être un peu moins grosses par rapport à l'économie et, deuxièmement, on a un système bancaire qui est constitué des six grandes banques, qui sont quand même très présentes. En général, les six grandes banques canadiennes sont capables à elles seules de pourvoir aux besoins capitaux des compagnies canadiennes.
Donc, un prêt bancaire, c'est quoi? C'est juste un prêt à une compagnie qui a besoin d'argent, qui va aller voir une banque avec son projet. Et comme le projet, dans ce cas-ci, est peut-être trop important en termes de grandeur, en termes de capitaux nécessaires, la banque est incapable de souscrire à 100 % du prêt. La banque ou le syndicat bancaire va alors se retourner puis chercher des investisseurs à l'extérieur du syndicat de la banque pour être capable de financer la transaction. C'est là qu‘on entre en jeu.
C'est super important de comprendre que le gros avantage de la catégorie d'actifs est qu’elle est vraiment au même niveau que les banques. Toutes les protections que les banques vont s'être négociées comme investisseuses, on bénéficie exactement des mêmes protections. Si nous on perd un cent, la banque perd un cent. C’est rare, Martin, dans le marché des capitaux, comme, prêteur qu'on a la possibilité d'avoir cette proximité au niveau de tout ce qu’une banque est capable de se négocier en termes de bells and whistles (conditions).
Martin Lefebvre
Qu'est-ce que ça représente pour l'investisseur? Quel est l’avantage pour l'investisseur?
Sébastien Rhéaume
C'est que ça réduit considérablement le profil de risque. Comme équivalent dans le monde de tous les jours, le prêt bancaire, c’est comme une hypothèque. Une banque est prête à prêter beaucoup d'argent pour quelqu'un qui va chercher une hypothèque parce qu’elle a l'actif en garantie. C'est un peu la même chose pour les prêts bancaires. Donc les banques sont prêtes à prêter beaucoup de capital mais en contrepartie, elles vont prendre en garantie l'ensemble des actifs de la compagnie. Donc le fait que ce sont des prêts qui sont garantis - d'où le nom prêt garanti premier rang -, ça réduit beaucoup le risque. Si jamais y a quelque chose qui se passe au niveau de la compagnie, les prêteurs ont des recours contre les actifs de la compagnie, donc ça vient réduire beaucoup de profil de risque et ça vient évidemment augmenter considérablement, dans un événement liquidation, le taux de récupération qu'on est capable d'aller chercher.
Martin Lefebvre
Si on parle de risque moindre, est-ce que ça veut dire que le coupon attendu doit être moins élevé? Ça se comporte comment par rapport à des obligations ordinaires ou à rendement élevé, par exemple?
Sébastien Rhéaume
Ce sont un peu des vases communicants. Les obligations à rendement élevé et les prêts bancaires, ce sont des vases communicants. Souvent, les émetteurs vont émettre dans un ou l'autre. C'est ça qui est intéressant. On est quand même bien rémunérés, on prend un risque. Je ne dis pas qu’on ne prend pas de risque. On prête quand même beaucoup d'argent à des compagnies, mais on prête dans la partie la plus sécuritaire, la structure de capital, c'est à dire qu'on est le premier rang garanti, donc on est en haut de la pyramide. Ça veut dire quoi? Ça veut dire qu'avant de perdre de l’argent, il faut que l’actif ait été wipé (liquidé), il faut que les prêts subordonnés également aient été perdus. Quand on a une structure de capital, on est en haut, on est bien protégés.
Ce à quoi on s'attend dans la catégorie d'actifs, dans le fond, c’est que l'émetteur s'engage à payer un écart constant à travers le temps. Habituellement, quand un émetteur vient au marché, un projet X qui est financé, c'est un terme qui va osciller entre 5, 6 ou 7 ans. Et l'émetteur s'engage à payer un écart fixe en haut d'un taux flottant. C'est une autre caractéristique de la catégorie d'actifs, ce que ce sont tous des taux flottants. Et je pense que dans le contexte économique dans lequel on est, c'est quelque chose qui peut être super avantageux.
Martin Lefebvre
Peux-tu nous en dire un peu plus là-dessus? Comment ça vient influencer le rendement, en fait la volatilité ou la fluctuation des taux?
Sébastien Rhéaume
Ce qui se passe, c'est que l'émetteur vient au marché. On va prendre un émetteur qui est coté BB avec un écart de 300 points de base. Ça veut dire que l'émetteur s'engage à payer 300 points de base de plus que le taux flottant pour les 6 prochaines années. Si le taux flottant, au moment de l'émission, est à 4 %, on ajoute 3 % au 4 %. On a alors 7 % de coupon qu'on se fait payer. Si le taux à un jour - le taux flottant – monte, comme on a vu en 2022, qu’il passe de 4 % à 4,5 %, alors on ajoute le 3 %, ce qui fait qu'on passe de 7 % à 7,5 %. Le gros avantage de la catégorie d'actifs, c'est qu’au fur et à mesure que le taux flottant monte, on est rémunérés davantage.
C’est pour ça qu’une de nos grandes motivations à discuter de la catégorie d'actifs, c'est qu’en 2022, les titres à revenu fixe n’ont pas vraiment joué le rôle qu'ils devaient jouer. L’année 2022 a été difficile pour l'ensemble des catégories d'actifs. Les titres à revenu fixe au Canada ont fait environ -11,5 %, et au moment où on en avait le plus besoin. L'ensemble des marchés avaient de la difficulté. Habituellement, tu t'attends à ce que ton revenu fixe fasse bien, puis en 2022 - encore une fois c'est juste des mathématiques -, les taux d'intérêt ont monté entre 150 et 200 points de base sur l'ensemble de la courbe. Si t'as une durée de 7, tu ne peux pas te cacher nulle part. En 2022, le prêt bancaire est une des rares catégories d'actifs qui a eu un rendement positif.
Et contrairement aux autres types de titres à revenu fixe, le prêt bancaire bénéficie à toutes les fois que les taux d'intérêt montent, on est payés davantage. Ce qui est super intéressant pour la catégorie d'actifs encore une fois, c'est que ça devient un hedge partiel contre l'inflation. Au fur à mesure qu’il y a de l'inflation, les banques centrales montent les taux d'intérêt. Si tu montres ton taux variable, t'es rémunéré davantage. C'est pour ça qu'on trouve intéressant d'ajouter cette catégorie d'actifs à portefeuille bien diversifié pour, encore une fois, venir diminuer le risque et si les taux d'intérêt montent, que la catégorie d'actifs soit négative.
Martin Lefebvre
Est-ce que cette sensibilité-là aux taux d'intérêt se vit aussi à la baisse? Qu’est-ce qui se passe si les taux baissent de façon précipitée? Quelle est la durée d'un prêt bancaire?
Sébastien Rhéaume
C'est un super bon point. Ça va des deux côtés. Ce sont des termes, habituellement, de 1, 2 ou 3 mois que les compagnies vont choisir. Si les taux d’intérêt baissent, le coupon va également diminuer. On garde l’écart constant. Comme je disais tantôt - l'exemple que je donnais de 300 points de base -, c'est l'écart. Si par exemple le taux d’un jour passe de 4 % à 3 %, on passe de 7 % à 6 %. Donc ça fonctionne des deux côtés.
On l'a vu dernièrement, la Banque du Canada annonçait qu’elle va probablement prendre une petite pause à ce moment-ci. Je pense qu'il faut reconnaître qu’on est dans un nouvel environnement dans lequel, je pense, le taux directeur ou les taux directeurs en général risquent d'être plus élevés que ce à quoi on était habitués. C'est certain que si on avait une vue que les taux d'intérêts retournés à 0 %, la catégorie d'actifs serait moins intéressante. Mais si on pense que le taux directeur peut rester entre 3 % et 4 % à travers le cycle, on a 3 % à 4 % comme point de départ. On ajoute l'écart moyen qu'on vise - on vise un écart moyen de 225 points de base -, on parle alors de 5,25 %, 6, 25 % de rendement, et c'est quelque chose qui devient super intéressant à travers le cycle.
Martin Lefebvre
Quels types d'industries, a priori, sont des émetteurs? On a parlé des banques. Est-ce qu’il y a d'autres secteurs? Et à quel genre de diversification peut-on s'attendre en tant qu’investisseur?
Sébastien Rhéaume
Le marché des prêts bancaires est vraiment centré aux États-Unis. On a un marché de prêts bancaires au Canada, mais il reste syndiqué à l'intérieur des banques. Les émetteurs dans lesquels on a l'opportunité d'investir, ils reflètent un peu la réalité de l'économie américaine. C’est un autre des grands avantages de la catégorie d’actifs : elle nous permet d'aller chercher une diversification. L'économie canadienne quand même assez concentrée dans certains secteurs. L'économie américaine est beaucoup plus diversifiée, que ce soit au niveau des loisirs, des services, de la santé et ainsi de suite. Il y a beaucoup de segments de marché qui ne sont pas disponibles dans l'économie canadienne qu'on peut aller chercher. Donc on est capable de bâtir des portefeuilles qui sont très diversifiés en termes de différents secteurs d'activité, qui sont moins disponibles au Canada. C'est un autre des grands avantages, c'est que ça permet vraiment de différencier, de diversifier le portefeuille de façon très différente de ce qu'on voit au Canada.
Martin Lefebvre
La plupart de nos clients sont dans des profils, des portefeuilles équilibrés. Comment un gestionnaire de portefeuille peut-il intégrer des prêts bancaires? Comment ça vient s'insérer dans une bonne stratégie d'investissement?
Sébastien Rhéaume
C'est super intéressant comme question. Ça dépend vraiment, ultimement, du client. En fait, si on a un client qui est proche de la retraite, qui a une plus grosse partie de son portefeuille en revenu fixe, la réponse change peut-être. Mais quand on regarde de façon générale, la partie revenu fixe du portefeuille - disons qu’on a 50 % du portefeuille qui est investi en revenu fixe -, je pense que c'est légitime de dire qu’on ne veut pas nécessairement avoir 100 % du revenu fixe qui va être avec une durée de 7. On veut réduire la durée, se protéger et aller chercher un peu une protection contre l'inflation. Si bien qu'on peut facilement penser qu'on peut prendre 25 %, 30 % de ce revenu fixe-là et le mettre dans une catégorie d'actifs à taux variable, qui va venir protéger quand l'inflation sera un peu plus volatile. Et éviter de se retrouver dans une situation où quand les taux d'intérêt montent, toutes les catégories d'actifs ont tendance à moins bien faire. Mais on a au moins une catégorie d'actifs qui devrait quand même bien s'en sortir. Grosso modo, je pense que 25 % à 30 % d'un portefeuille investi dans cette catégorie d'actifs-là pourrait être quelque chose de tout à fait légitime.
Martin Lefebvre
Donc les effets de la diversification et de la décorrélation aux actifs, même potentiellement au revenu fixe plus traditionnel. Très bien. Merci beaucoup, Sébastien, pour tes lumières. Je pense que ça nous a éclairés. On comprend beaucoup mieux cette catégorie d'actifs-là.
À vous tous qui nous écoutez, merci d'avoir été à l'écoute et on se reparlera le mois prochain.
Sébastien Rhéaume
Merci Martin.