Martin Lefebvre (ML) et Marie Brault (MB)
ML :
Bonjour à tous, ici Martin Lefebvre, Chef des placements à la Banque Nationale. Bienvenue et merci de vous joindre à ce Balado BNI. Aujourd’hui, nous allons parler de l’intérêt croissant de l’ESG ou de façon plus globale, l’investissement responsable et plus précisément le manque de standardisation sur le sujet. On entend beaucoup parler d’écoblanchiment, c’est-à-dire le risque que certains émetteurs, que ce soit volontaire ou non, induisent les investisseurs en erreur au sujet des aspects liés aux facteurs ESG. D’ailleurs, il y a beaucoup de statistiques à cet effet. 81 % des conseillers ayant été sondés à cet égard en 2021 par l’Association pour l’investissement responsable se sont déclarés préoccupés par l’écoblanchiment et 74 % par l’absence de normes. Pour parler de tout ça, mon invité aujourd’hui n’est nulle autre que Marie Brault, vice-présidente, services juridiques chez Banque Nationale Investissements. Marie, bonjour et merci d’être parmi nous.
MB :
Bonjour, Martin, ça me fait plaisir d’être là.
ML :
Ma première question pour toi c’est : est-ce que les autorités réglementaires répondent à ce besoin de normalisation autour de l’investissement responsable ?
MB :
Je voudrais juste commencer en précisant que l’écoblanchiment n’est pas l’objectif de l’essentiel des émetteurs. C’est davantage un enjeu de compréhension erronée et ce ne sont pas tous les fonds d’investissement responsable qui se valent. Les conseillers jouent un grand rôle pour faire la part des choses. Les autorités réglementaires répondent à ce besoin de normalisation. Ça part plus précisément de la COP 21, à Paris en 2015, alors que la plupart des gouvernements se sont engagés dans l’Accord de Paris à agir. L’Union européenne est cheffe de file en la matière. Elle s’est dotée d’un plan d’action vraiment précis dont le règlement de l’Union européenne sur la publication d’information relative à la fiance durable, mieux connue sous le vocable SFDR. Les pays ont donné le ton et visent à réglementer en la matière. Il y a également l’OICV, rassemblant les organismes de réglementation en valeurs mobilières, qui a réitéré en novembre 2021 l’importance de mitiger l’écoblanchiment, faire ce qui est requis pour créer de l’information fiable sur les impacts en termes de développement durable pour les investisseurs. Ça l’a mené tous les pays où l’investissement est un sujet d’envergure à agir et à publier divers projets, divers cadres et on a vu en janvier dernier nos autorités canadiennes en valeurs mobilières publier de belles lignes directrices dans le cadre d’un avis à cet égard.
ML :
On sait bien qu’avis n’est pas un règlement. Quelle est la différence et de manière plus concrète, qu’est-ce que ça peut signifier pour les gestionnaires d’actifs, conseillers en placement ou même les investisseurs ?
MB :
Un avis n’est pas un règlement, mais la bonne nouvelle : les autorités canadiennes ont conclu après analyse qu’il y avait assez de règles. Elles ont choisi de nous parler par la forme d’un avis, c’est-à-dire, des lignes directrices qui expliqueront la façon dont les règles vont s’appliquer en matière d’investissement responsable. Elles nous ont dit : vous devez faire ce que vous dites et dire ce que vous faites. C’est déjà le principe en matière de droit des valeurs mobilières, mais encore plus vrai pour l’investissement responsable. Ce que ça veut dire pour ceux qui investissent : nos autorités ont l’écoblanchiment au centre de leur radar. Ils travaillent fort pour tenir les émetteurs imputables. On peut penser à ce que les autorités canadiennes ont fait par rapport au closet indexing (les stratégies de placement qui étaient dites actives alors qu’elles étaient passives, ne suivant qu’un indice). La pratique a été éradiquée sur la base de lignes directrices publiées par les autorités. Elles ont mis le tout au centre de leur mire, ont fait le ménage. J’ai l’impression que ce sera la même chose en ce qui concerne l’écoblanchiment : communiquer leur intention et te tenir les émetteurs imputables. Le ton a été donné en janvier pour bien faire les choses. Les autorités veulent des informations plus détaillées, plus précises, pour mieux éclairer les décisions de placement. Ça va aider les investisseurs et les conseillers à connaître leurs produits et leur convenance. Il restera aux conseillers de bien connaître les besoins et les intérêts de leurs clients pour l’investissement responsable pour faire le bon arrimage.
ML :
Comment les conseillers en placement vont pouvoir s’y retrouver dans toutes ces différentes approches mises de l’avant par ces fonds d’investissement ?
MB :
Évidemment, ce n’est pas une approche binaire. Les fonds d’investissement responsable, c’est un spectre. Il y a certains fonds qui ne font que de l’investissement responsable et pour lesquels tout passe par cette définition. Pour d’autres, ce n’est qu’une arrière-pensée. La réglementation vient assurer qu’il y aura de l’information accessible et claire sur toutes ces questions pour que les conseillers puissent prendre acte et prodiguer les bons conseils aux investisseurs avec l’information à disposition. Plusieurs mythes continuent à exister. Le sondage auquel tu faisais référence en introduction de l’Association en investissement responsable en 2021 faisait ressortir que la plupart des conseillers avaient de la misère à distinguer si la recherche démontre que les investissements responsables fonctionnent aussi bien sinon mieux que les investissements traditionnels. On pourrait croire que l’investissement responsable est à l’opposé du rendement, mais quiconque connait la recherche fondamentale pourrait amener à la conclusion contraire. L’investissement responsable va de pair avec le rendement. De la même façon, le mythe qu’une société de combustibles fossiles ne peut absolument pas être incluse dans un fonds d’investissement responsable : pas nécessairement. Si une compagnie a une approche qui se distingue de ses pairs pour prendre le virage vers un développement durable,
elle pourra faire partie d’un portefeuille. Certains mythes perdurent, mais avec l’information de plus en plus claire et précise, des mesures, des suivis sur les objectifs et leur atteinte, on pourra faire la part des choses.
ML :
Jusqu’à ce qu’on s’y rende, qu’en est-il d’un consensus au niveau de ces normes établies. On a l’impression que le vocable et les termes diffèrent d’un Fonds ESG à un autre…
MB :
Tu as tout à fait raison. C’est le principal défi auquel l’ensemble de la planète fait face sur l’investissement responsable : le vocabulaire est diversifié et large. Certaines tendances émergent en matière réglementaire. L’approche européenne différence trois types d’investissement : ceux dont l’objectif de placement définit de l’investissement responsable, sont les plus susceptibles d’avoir un impact important. Une deuxième catégorie : ceux qui font la promotion de stratégies en matière d’investissement responsable et les autres, regroupant un large spectre, de ceux qui timidement, commencent à réfléchir, du filtrage, exclure certains segments, jusqu’à ceux qui vont reconnaître que les changements climatiques sont un risque pour certains émetteurs. Il y a beaucoup de variabilité, mais on voit ces trois grands bassins de fonds de plus en plus reconnus dans le monde. Certains éléments aideront : le CFA Institue a publié des standards de divulgation globaux en matière ESG pour les produits d’investissement. C’était la première fois qu’on voyait des standards volontaires émerger d’une façon aussi campée pour divulguer de quelle façon un produit considère les enjeux ESG dans ses objectifs d’investissement, ses stratégies de placement et ses activités de gouvernance. Il y a aussi le comité de normalisation des fonds d’investissement (CIFSC) ayant proposé un cadre d’identification des fonds d’investissement responsable, basé sur des standards de divulgation, c’est qualificatif. Or, une petite étiquette pourra être apposée sur certains fonds plus spécifiquement axés sur l’investissement responsable. On voit aussi d’autres standards commencer à émerger au fur et à mesure que diverses autorités à travers la planète publient leur cadre, leurs avis, leurs règles. Espérons arriver à quelque chose de clair et unanime à travers le temps. Pour l’instant, on peut laisser la place à la créativité et à l’innovation au bénéfice de l’investisseur. Arriver à des éléments qui vont permettre une émergence et une multiplicité de solutions d’investissement mettant de l’avant l’investissement responsable afin d’arriver à avoir cet impact positif sur l’investisseur.
ML :
C’est tout le temps que nous avions. Merci Marie d’avoir jeté un peu de lumière sur ce monde-là. Merci à tout le monde d’avoir été à l’écoute et à très bientôt pour un prochain Balado BNI.