(Traduction du balado enregistré en anglais)
Martin Lefebvre
Bonjour à tous, je suis votre animateur, Martin Lefebvre, chef des placements chez Banque Nationale Investissements. Merci de vous joindre à notre série de balados BNI sur l'économie et les marchés financiers. Aujourd'hui, je reçois Maria Negrete-Gruson, gestionnaire de portefeuille chez Artisan Partners et notre discussion portera sur les marchés émergents. Maria, bienvenue et merci d'être avec nous.
Maria Negrete-Gruson
Bonjour Martin, très heureuse d’être avec vous.
Martin Lefebvre
Maria, avant d’aborder le positionnement de votre portefeuille et vos recommandations, pourquoi ne pas commencer par quelques notions de base? Pouvez-vous nous dire quelles conditions sont généralement nécessaires pour une meilleure performance des marchés émergents par rapport au reste du monde ou aux actions américaines en général?
Maria Negrete-Gruson
Oui, je pense que cela a été une grande question ces derniers temps, étant donné la performance moindre de la catégorie d'actif par rapport à ce qui a été un marché américain très fort. Je pense que la réalité – d’après la façon dont nous regardons la réalité -, est que l'histoire démontre que la dynamique présente dans ces pays, dans ces marchés, est vraiment ce qui stimule la croissance. Vous pouvez dire : eh bien, vous avez besoin d'un dollar faible ou de taux d’intérêt plus bas. Mais en réalité, ce dont vous avez besoin, c'est d'une sorte de dynamisme des marchés intérieurs et vous pouvez encore en avoir beaucoup aujourd'hui, même dans un environnement extérieur ou peut-être un environnement mondial qui n'est pas si favorable.
Martin Lefebvre
Vous l'avez mentionné : les États-Unis ont mieux fait au cours des 15 dernières années, mais il fut un temps où les marchés émergents affichaient une meilleure performance. Je me souviens de l'industrialisation de la Chine et de l'Inde lorsque le dollar américain était en effet assez bon marché. Donc, à l'heure actuelle, les marchés émergents semblent être bon marché sur une base historique, que vous regardiez le ratio cours-bénéfice, par rapport aux États-Unis, pensez-vous que nous sommes sur le point d'inverser cette performance américaine supérieure?
Maria Negrete-Gruson
De notre point de vue, et nous sommes des gestionnaires dévoués, notre travail consiste vraiment à trouver les occasions. Et nous en trouvons beaucoup aujourd'hui sur les marchés émergents. Je pense qu'une partie de la question du passé est presque une question de définition. Il s’agit en quelque sorte de définir simplement les marchés émergents par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ou juste une poignée de pays, alors qu'en réalité le potentiel va bien au-delà. C'est presque à l’extérieur de cet espace BRICS que le potentiel se trouve. Et il y a ces dynamiques que vous avez évoquées : l'industrialisation, la faible pénétration, qui sont bien réels. Et c'est le type d'occasions qui, selon nous, existent aujourd'hui à des évaluations, comme vous le dites, très abordables.
Martin Lefebvre
Vous venez de mentionner les BRICS. Et je me souviens que lorsque j'étais plus actif en gestion de portefeuille, il semblait que les marchés émergents n'étaient considérés que comme un seul bloc. Et chaque fois que la Chine allait bien ou que l'Inde se portait bien, il y avait de forts afflux de capitaux (inflows). Mais au contraire, s'il y avait quelque chose en Turquie ou une crise au Brésil, il y avait de fortes sorties. Alors que les choses ont changé dans ce sens, quels sont les principaux moteurs aujourd'hui?
Maria Negrete-Gruson
Je pense que le moteur externe reste toujours l'investissement de portefeuille qui fait certainement partie de la dynamique, mais les marchés ont atteint un certain degré de maturité et la dynamique nationale d’un pays est également très importante. Et c'est ce que je dis : il faut en quelque sorte identifier le marché qui peut sembler être marginal, mais qui a une dynamique intérieure qui se déroule très bien - le consommateur, la création de la classe moyenne -, toutes ces choses qui se produisent presque parallèlement à ce qui se passe dans le monde extérieur. C'est là que je parle de simplification de la définition de marchés émergents, qui se résume souvent à une poignée de pays, qui comptent une grande population ou qui attirent des capitaux. Non, ce sont les autres éléments qui comptent aussi. Et je pense que c'est ce qui crée un type d’occasions plus diversifiées et plus durables sur les marchés émergents.
Martin Lefebvre
Qu'en est-il de la volatilité ? Il semble que chaque nouvelle que nous recevons des marchés émergents crée en quelque sorte de l'incertitude sur le marché. Nous avons certainement assisté au cours des dernières semaines aux résultats des élections en Inde et au Mexique, qui semblent avoir créé beaucoup de volatilité. Pouvez-vous nous dire pourquoi c'est le cas et plus particulièrement peut-être nous parler de la gouvernance des marchés émergents?
Maria Negrete-Gruson
Pour nous, la volatilité est synonyme de possibilités. Elle nous offre la possibilité d’accéder à un marché, à un titre que nous apprécions vraiment, que nous avons regardée et que nous avons en quelque sorte aimée, mais pour lequel il n’y a pas encore suffisamment de potentiel de hausse (upside). Par exemple, ces périodes d’inquiétude électorale, tout cela crée des occasions. Et je pense que c'est quelque chose qui est inhérent à la catégorie d'actif, la forte volatilité, la fragilité. Les marchés émergents continueront à l'être, mais lorsque vous êtes dans un état d'esprit et un engagement à plus long terme envers la catégorie d'actif, vous pouvez voir ces moments comme une occasion d'entrer sur le marché. En ce qui concerne la question de la gouvernance, je pense que c'est essentiel pour notre processus. Nous croyons que ce n'est pas le comportement du marché, ni même du gouvernement ou du pays où vous opérez, qui constitue le comportement de l'entreprise sur ce marché. Comment l'entreprise sait comment s'y retrouver, comment l'entreprise se perçoit et comprend sa responsabilité envers nous en tant qu'actionnaires minoritaires, c'est essentiel pour naviguer dans ces eaux inévitablement turbulentes que seront les marchés émergents.
Martin Lefebvre
Qu'en est-il de la Chine? Il n'y a pas si longtemps, la Chine représentait presque - je ne me souviens pas du chiffre exact - disons 50 % des marchés émergents. Et il semble que ce soit un peu plus bas maintenant. Pensez-vous que le gouvernement en fait assez pour relancer l'économie ? Et qu'en est-il des risques entourant le marché immobilier? Comment voyez-vous la Chine aujourd'hui?
Maria Negrete-Gruson
Par rapport à cette idée de référence que constitue la Chine dans le monde des marchés émergents, nous avons toujours maintenu une position plus structurelle et plus petite. Par exemple, reproduire un indice dont la Chine représente une grande partie n'a jamais été notre objectif. Donc, dans ce genre d'univers plus petit qu'est la Chine pour nous, pourquoi est-ce un univers plus petit? Parce que de nombreuses régions de la Chine se trouvent en quelque sorte exclues de notre processus de sélection parce que, par exemple, on y trouve beaucoup de sociétés d'État qui ne fonctionnent pas comme une entreprise. Il s’agit plutôt de ministères d'État. Ensuite. L’éventail de possibilités est donc plus petit, mais nous y trouvons des entreprises dans lesquelles nous pouvons investir. Je pense que la question, c'est si le gouvernement en fait assez. Je pense que nous n'aimons pas compter sur ces mesures de relance gouvernementales destinées à stimuler le marché. Je pense que nous devons trouver en Chine des entreprises capables de tirer parti de l’environnement actuel. Et cet environnement est aujourd'hui davantage axé sur l'extérieur. Le marché intérieur est faible. Le gouvernement a mis un certain temps à injecter une certaine énergie dans ce marché. Mais il reste toujours la partie orientée vers exportation qui représente une part importante du marché. Nous devons trouver des entreprises qui tirent bien parti de ce potentiel, qui ont cette capacité. Donc peut-être que l’éventail est plus petit que lorsque l'on considère l’immense diversité de ce qu'est la Chine. Mais même dans ce contexte, nous pensons qu'il existe des occasions à saisir, en accordant une attention particulière à des questions telles la gouvernance.
Martin Lefebvre
Vous avez mentionné que vous sous-pondériez légèrement la Chine la plupart du temps. Quel type d'approche privilégiez-vous? Favorisez-vous plutôt une approche sectorielle ou géographique? Quelle est votre position actuelle?
Maria Negrete-Gruson
Notre approche est une sélection de titres ascendante. C'est ce qui motive notre processus. Ainsi, la répartition sectorielle résulte de la sélection des titres. En ce qui concerne le pays, cependant, nous disposons une évaluation des risques qui est très spécifique à chaque pays. Nous examinons plusieurs facteurs. Et cela influence en quelque sorte notre évaluation cible. Il ne s'agit donc pas d'un concours de beauté, comme je le dis. Il ne s'agit pas d'essayer de classer tous les pays du bon au mauvais et de dire : eh bien, je vais investir dans les bons et éviter les mauvais. Il s’agit plutôt de savoir quel impact cela a-t-il sur la présence de notre entreprise dans ce pays. Dois-je le pénaliser? De combien ai-je besoin pour réduire mon évaluation ? Et c'est ce qui crée le résultat. En fin de compte, cela se situe au niveau des titres et le risque pays constitue une pénalisation, presque une atténuation des risques plutôt qu'une répartition par pays. Notre processus de construction du portefeuille est donc intrinsèquement ascendant.
Martin Lefebvre
D'accord, mais c'est le résultat de votre approche ascendante. Vous ne tentez pas d'être neutre sur le plan du marché ou sur le plan géographique. D'accord, je comprends. Nous avons parlé un peu de gouvernance, mais qu'en est-il des critères ESG? Intégrez-vous cette analyse dans votre travail?
Maria Negrete-Gruson
Oui, nous pensons que la durabilité et l'ESG font partie intégrante des occasions à saisir sur les marchés émergents. Comme je l'ai dit, l'ESG n'est pas un élément décoratif que nous associons à nos titres. Il est essentiel que ces entreprises puissent faire ce qu'elles font. Notre processus consiste donc à examiner la capacité de gain de l'entreprise, à examiner le risque pays et les évaluations ESG, tous aussi importants pour déterminer le potentiel. Lorsque nous évaluons la croissance ou un avantage concurrentiel durable, c'est ce qui nous attire vers un titre, ces avantages concurrentiels durables qui doivent être vraiment durables. Si votre avantage est d'abuser de l'environnement, d’exploiter vos employés, eh bien, ce n'est pas durable à nos yeux. Nous devons donc trouver des occasions véritablement durables pour créer le potentiel de hausse que nous recherchons pour nos titres.
Martin Lefebvre
Je comprends. Je vais vous poser une dernière question sur les pays. L'Inde a été une superstar ces derniers temps et, après la pandémie de COVID, l'Amérique latine s’en est également plutôt bien sortie. Avez-vous une région préférée dans laquelle investir aujourd’hui?
Maria Negrete-Gruson
Pour nous, ce qui compte, ce sont les titres. En Inde, même si nous aimons la dynamique du pays en termes de croissance et de pénétration - beaucoup de qualités que nous aimons -, nous n'avons pas trouvé autant d'occasions. Et dans le passé, je pense qu'une grande partie de l'euphorie qui a régné en Inde s’est en quelque sorte construite autour, en particulier, d’une grande partie des capitaux qui ont quitté la Chine pour des raisons géopolitiques ou pour d’autres raisons. Et en quelque sorte, cela créé une histoire peut-être moins convaincante. Nous croyons donc en leur histoire, nous continuons à la poursuivre et nous apprécions les possibilités de correction, comme ce qui s'est passé après les élections, pour examiner de plus près ce marché et les occasions à saisir là-bas. Il est très important de souligner que notre surpondération dans un titre n’est pas très spécifique à un pays. Nous sommes très diversifiés dans notre exposition. Et c'est quelque chose qui n'est pas centré sur le Brésil, par exemple. Nous étudions les possibilités dans d'autres régions, dans d'autres parties, et nous sommes en Argentine, nous sommes au Panama, nous sommes dans de nombreuses régions que l'on peut qualifier de marginales de l'Amérique latine. Mais dans notre esprit, ce sont des exemples concrets de ces occasions que nous essayons de trouver sont en Amérique latine.
Martin Lefebvre
D'accord, je ne veux pas vous poser une autre question. Vous avez dit que vous pratiquiez une approche ascendante (bottom up) et que vous sélectionniez des titres (stock pickers). Alors, combien d'actions ou d'entreprises composent votre univers et comment filtrez-vous et trouvez-vous un certain nombre d'entreprises avec lesquelles vous êtes à l'aise?
Maria Negrete-Gruson
Compte tenu de notre vaste expérience, ce que nous appelons notre bibliothèque, c'est-à-dire des entreprises que nous avons pleinement analysées. Nous nous engageons beaucoup auprès des entreprises. Nous voyageons beaucoup; 800 réunions par exemple l'année dernière. Cela constitue une grande partie de ce que nous faisons. Je reviens tout juste de Jakarta. Cette bibliothèque est donc très fournie. Nous disposons ainsi de 700 noms qui ont fait l’objet d’une analyse complète au fil des ans. Mais les analystes, je dirais, ont environ 10 titres en portefeuille et environ 25 noms sur une liste courte avec laquelle nous sommes prêts à agir. Il s’agit en quelque sorte de la bibliothèque de noms la plus limitée actuellement mise à jour. Les analystes effectuent quatre nouvelles analyses par trimestre. Et c'est le rythme auquel notre bibliothèque grandit. Ce sont les quatre noms que nous analysons. C'est donc un processus très lent, d'une certaine manière. Mais étant donné que cela se fait depuis longtemps, cela crée une très grande bibliothèque contenant des informations clés sur les titres, comme les bénéfices normalisés, notre évaluation ESG et notre évaluation cible.
Martin Lefebvre
Eh bien, Maria Negrete, merci beaucoup de nous avoir éclairés sur les marchés émergents. Et pour tous les auditeurs de ce balado, merci beaucoup de votre écoute. Nous nous reparlerons prochainement.
Maria Negrete-Gruson
Merci.