Martin Lefebvre
Bonjour tout le monde. Ici Martin Lefebvre, chef des placements et stratège chez Banque Nationale Investissements. Bienvenue et merci de vous joindre à notre série de balados BNI sur l'économie et les marchés financiers.
Aujourd'hui, notre discussion va tourner autour des opportunités dans le revenu fixe. Et pour partager son opinion, on a notre invité aujourd'hui, qui est Sébastien Rhéaume, chef des placements chez Alpha Fixe. Sébastien bienvenue!
Sébastien Rhéaume
Merci Martin.
Martin Lefebvre
Sébastien, il semble que la Réserve fédérale américaine (Fed) ait finalement entamé, si tu veux, un cycle d'assouplissement monétaire. Certains ont considéré que c'était un premier pas, disons, hors norme avec 50 points de base.
De ton côté, étais-tu surpris de ça et peut être nous expliquer un peu pourquoi il semblait approprié pour la Réserve fédérale de baisser les taux à ce moment ci.
Sébastien Rhéaume
Je vais commencer avec la deuxième partie de la question. Approprié? Baisser les taux probablement, c'est justifié. Le taux du directeur est quand même à 5,5 %. On commence à avoir une rénormalisation au niveau du marché de l'emploi. Donc, tranquillement, se rapprocher du taux neutre est probablement justifié.
Quant à la première partie de ta question : surpris du 50? Oui, un peu là, parce que c'est quand même assez surprenant dans la réalité économique dans laquelle on voit. Comme je dis, on voit une rénormalisation; on ne voit pas encore une énorme faiblesse. Un petit peu avant les élections. Encore une fois, il y avait un élément politique aussi qui était rattaché à ça. Ce qui fait qu’un peu surpris de voir le 50. Puis à écouter monsieur Powell, c'est certain que le message je pense qu'il voulait envoyer, c'est que, tu sais, on est vraiment dans un mode : OK, il se dépêcher pour revenir plus proche du taux neutre. On veut prendre, on veut envoyer un signe assez important qu'on s'en va là avec une certaine rapidité. Mais comme j'ai dit, ouais, surpris un peu de voir un 50 au lieu d'un 25. Puis tu sais, encore une fois, pas certain que c'était nécessaire, mais c'est fait. Ce qui fait qu’à partir d'ici, ça va être intéressant de voir ce qui va se passer là.
Martin Lefebvre
Ouais je suis d'accord avec toi. Ça a été certainement réjouissant sur les marchés boursiers. On a vu que quand même ça avait occasionné un rebond assez marqué. Mais, en même temps, on a vu que les taux de référence sur le marché obligataire ont presque pas bougé. En fait même, ils ont continué à réaugmenter au cours des jours qui ont suivi. Qu'est ce qui explique ça selon toi?
Sébastien Rhéaume
Ouais, ça c'est quand même assez intéressant effectivement fait que le marché surprend un peu avec une baisse un peu plus élevée qu'attendue. Puis en même temps, on regarde les taux à 10 ans, je pense qu'ils sont une trentaine de points de base plus élevés depuis que la Fed a baissé. Donc ça, c'est probablement une réflexion du : OK, on a commencé avec 50, peut-être un peu plus agressif qu'on pensait.
Mais probablement que ça, ça veut dire qu’on n’en fera pas plus qu'on anticipait. Au contraire, peut-être que là, c'est une volonté d'en faire rapidement, puis peut-être en faire moins pour éviter effectivement de se retrouver dans un environnement où les taux sont trop élevés, puis qu'on a un impact sur l'économie puis qu'on provoque une récession. Ce qui fait que je pense que c'est un peu ce qu'on voit. Puis je pense c'est un peu justifié effectivement parce que si, effectivement, on commence à baisser agressivement, puis que le ralentissement ne se s'accélère pas, bien là il va avoir un re-questionnement même, à savoir jusqu'à quel niveau la Réserve fédérale devrait-elle baisser son taux directeur.
Martin Lefebvre
Ouais c'est ça. Donc on n'a pas vraiment changé le taux terminal – c'est une mauvaise traduction du terme anglophone – et donc les marchés n’ont pas trop réagi par rapport à ça. Mais si la Fed poursuivait avec une autre baisse de 50 points, disons, puis que là on veuille aller vers le taux neutre plus rapidement que ce qui est escompté, est-ce que vous voyez un risque de votre côté, qu'il y ait une réaccélération de l'inflation?
Sébastien Rhéaume
Ouais, c'est une super bonne question parce que dans le fond, le taux neutre, il est difficile à quantifier. Et puis, on a vu là, je dirais, dans les 12 derniers mois, l'estimé de la Réserve fédérale du taux neutre augmenter, ce qui nous semble tout à fait raisonnable. Donc si on si on retourne aux années prépandémie, disons en 2012, le taux neutre était évalué à un petit plus de 4 %, disons 4,5 %. Puis là, au fur et à mesure, depuis 2012, les années ont continué les taux d'intérêt étaient à 0, l'économie n’allait nulle part, ce qui fait que les banquiers centraux disent : le taux est à 0, l'économie va nulle part. Ça fait que notre taux d'équilibre, il ne doit plus être à 4,5 %; il doit être beaucoup plus bas parce que, finalement, l'économie, sinon, devrait s'accélérer. Ce qui fait que fait que l’estimé du taux neutre a diminué au cours des années pour se rendre, je pense, à 2,5 %, qui était l'estimé de la Réservation fédérale.
Donc si on pense le taux neutre est à 2,5 %, puis qu'on est à 5,5 %, comme je le mentionnais tantôt, c'est légitime, c'est légitime de commencer à baisser puis de baisser proactivement pour arriver le plus vite possible au taux neutre pour vraiment minimiser les impacts d'une récession. Le gros questionnement, c'est que le taux n’est pas à 2,5 %. Pas mal tout le monde est convaincu de ça. On ne sait pas où il est. Puis même quand on parle aux différents banquiers centraux, c'est un peu ce qu'ils nous disent, ce qui fait que le taux neutre, il est plus élevé. On ne sait pas vraiment où est ce qu'il est, mais si on regarde les projections, là, disons que le taux neutre est revenu à 4 % - comme il était prépandémie et pré-crise de 2008 -, on est rendu à 4,5 % aux États-Unis. Et si on fait une autre 50 cette année, on se retrouve à 4 %. Rapidement, on approche le taux neutre. Et là, on se retrouve dans un environnement qui est très différent. C’est qu'au lieu d’avoir le pied sur le frein, on se retrouve à mettre un peu le pied sur l'accélérateur. Puis là il faut comprendre le point de départ de l'économie américaine. L'économie américaine opère présentement en haut de son potentiel. Donc si on se retrouve dans une situation où on baisse le taux directeur puis qu'on baisse en dessous de son taux neutre, puis là on est en mode réaccélération, là effectivement, on se retrouve dans un scénario où l'inflation pourrait réaccélérer. Et ça, ce n'est pas bon évidemment pour le revenu fixe, mais ce n’est pas bon non plus pour le marché boursier.
Martin Lefebvre
Ouais, je suis d'accord avec toi. L'envers de la médaille, c'est qu’en même temps, on voit un une légère détérioration au niveau du taux de chômage, même que récemment, en juillet – et c'est un peu ce qui a lancé le bal sur la nécessité de baisser les taux –, il y a eu ce qu'on appelle le déclenchement de la règle de Sahm, comme tu connais bien, qui est la détérioration d'un demi-point de pourcentage du taux de chômage par rapport à son niveau il y a un an, qui, sur une base historique, a tout le temps été un signal suivi de très près de la part des économistes. Et qui a toujours mené à une forme de ralentissement ou voire pire une récession. Est-ce quelque chose que vous vous suivez de très près? Et est-ce que la perception chez Alpha Fixe, c'est que les risques sont négatifs et même qu'un risque de récession reste quand même plausible dans le scénario courant?
Sébastien Rhéaume
Ouais, premièrement, la règle de Sahm, la raison de laquelle on l'a traversée, ça a beaucoup plus à voir avec le côté du supply (offre) que la demande, ce qui fait qu’on a eu beaucoup plus de gens qui sont rentrés dans le marché du travail, soit avec l'immigration ou quoi que ce soit. Donc le taux de chômage a monté, mais pour des raisons tout à fait saines. C'est très différent d'un environnement de récession où on a des pertes d'emploi qui font monter le taux de chômage. Donc ça, ça ne nous inquiète pas vraiment. Mais effectivement, là, tout le monde en a parlé pendant longtemps. Cela étant dit, le risque de récession est encore présent pour nous. C'est toujours une question de savoir quand est-ce que ça va se produire. On a encore une très forte conviction que ça va prendre une récession pour rebalancer l'ensemble des marchés au niveau de l'emploi aux États-Unis. On a moins de conviction à savoir quand on l’aura. Les taux ont monté de façon assez importante là depuis le début de 2022. Là, on commence à les diminuer en espérant qu'on soit capable d'avoir l'atterrissage en douceur. Pour nous, ce n'est pas vraiment notre scénario de base. Mais en même temps, c'est difficile de dire qu'on on voit les éléments qui sont en place pour une récession aux États-Unis.
Martin Lefebvre
Ouais. Je suis d'accord avec toi, mais si ça devait survenir – parce qu'on sait le taux de chômage quand qui tend se détériorer souvent ça va vite. Est-ce que dans un scénario comme ça, la Fed pourrait aller au-delà du taux neutre? Je sais que ce n’est pas un taux qui était qui est observable, là, mais supposons qu’il est à 3,5 %, là, ou même pas, le taux attendu des marchés c'est 3 % ou le même la Fed nous dit 2,9 %. Dans un scénario comme ça jusqu'où tu penses ça pourrait aller?
Sébastien Rhéaume
C’est effectivement un bon point. Si, effectivement, on commence à avoir une vraie faiblesse, je peux appeler une vraie faiblesse dans le marché de l'emploi. Autrement dit, on commence à avoir des mises à pied et que le taux de chômage commence à monter pour des mauvaises raisons, là, effectivement, on va voir la Réserve fédérale être très agressive. Elle a carrément dit, là, tu sais, se tape un peu sur le dos qu'est l'inflation. Elle a son double mandat, l'inflation et le plein emploi. Pour l'inflation, elle considère que c'est dans la bonne direction. Puis ils peuvent se concentrer plus sur le plein emploi. Donc si, effectivement, on commence à avoir une augmentation du taux de chômage dû à des licenciements, ils vont commencer à être beaucoup plus agressifs. Et puis c'est là dans leur tête – comme on disait tantôt –, ils estiment, je pense, à 2,9 % le dernier estimé qu'ils ont. Mais ils reconnaissent qu'il est probablement plus élevé que ça. Mais c'est certain qu'ils vont le baisser en bas de leur de leur estimé. Donc on pourrait facilement se retrouver 2 et quelque pour 100, là, juste pour être capable de donner un petit peu d'oxygène à l'économie. Est ce qu'on retourne à 0? Ça prendrait vraiment quelque chose d’extrêmement négatif au niveau de l'économie et une récession assez profonde. C’est une chose qu'on ne voit pas d'ailleurs quand on regarde l'économie américaine. On ne voit pas de gros déséquilibre, donc même si on rentre dans un ralentissement économique, je pense qu'on ne voit pas cet effet boule de neige-là. Donc oui la Réserve fédérale baisserait en bas de son taux d'équilibre, mais je ne pense pas qu'on va avoir des taux à 0 pendant un bon bout de temps.
Martin Lefebvre
Sébastien, le temps file, mais on ne peut pas passer à côté de la Banque du Canada. Avec l'accélération des mouvements à la baisse du côté de la Fed, est ce qu'il y a une possibilité, pour la Banque du Canada, lors de sa prochaine décision, d'en faire davantage?
Sébastien Rhéaume
Le point de départ au Canada est différent de celui des États-Unis. Premièrement, l'économie canadienne opère sous son potentiel, ce qui fait qu'en partant, le point de départ, il est très différent. On a déjà une économie qui ralentit, Ça, c'est très favorable pour ramener l'inflation au plus proche de sa cible. On a un consommateur qui est plus endetté. Donc si on regarde le ratio de la dette au Canada, il est à un haut historique, ce qui fait qu'on a fondamentalement une économie en différente position. Donc c'est tout à fait légitime pour nous, la Banque du Canada, d'avoir commencé à baisser avant la Réserve fédérale et de continuer dans cette direction-là. Ce qui fait qu’encore une fois, je pense que c'est important que la Banque du Canada atteigne son taux neutre le plus rapidement possible. Probablement, la Banque du Canada estime probablement elle aussi à 2,75 %, mais elle reconnaît qu'il est probablement plus élevé que ça. Mais oui, effectivement, je pense que le fait que la Réserve fédérale ait commencé à diminuer donne une marge de manœuvre plus intéressante pour la Banque du Canada pour renormaliser son taux directeur plus rapidement. Puis je pense que c'est justifié, étant donné la faiblesse économique qu'on voit au Canada.
Martin Lefebvre
Sébastien, c'est tout pour aujourd'hui. Merci beaucoup d'avoir participé à l'émission.
Sébastien Rhéaume
Ça me fait plaisir. Merci Martin.
Martin Lefebvre
Et à tout notre auditoire. Merci d'avoir été à l'écoute et on se reparle le mois prochain.