Martin Lefebvre
Bonjour à tous. Merci de vous joindre à notre série de baladodiffusions de BNI. Je m'appelle Martin Lefebvre, chef des placements à Banque Nationale Investissements. Et je vais être l'animateur de la discussion d’aujourd'hui, qui va porter sur l'économie canadienne. Pour ce faire, je suis accompagné de Daren King de notre équipe Économie et stratégie. Bonjour Daren, merci d'être avec nous.
Daren King
Bonjour Martin, c'est un plaisir.
Martin Lefebvre
C'est un plaisir aussi. Donc on va parler de l'économie canadienne, qui montre des signes de fatigue. Est-ce que tu peux nous faire le topo?
Daren King
Mais oui, évidemment. Donc, effectivement, l'économie canadienne qui commence à ralentir. On voit vraiment que l'impact des taux d'intérêt se fait sentir autant sur l'économie que l'inflation. Donc ça, c'est la bonne nouvelle, ’'inflation qui a, quand même, diminué, qui est dans la bonne direction. La Banque du Canada nous dit aussi que si ça continue dans ce sens-là, on va avoir des baisses de taux qui vont s'en venir prochainement. Ce qu'on voit, c'est que l'économie ralentit. Au premier trimestre, on a eu les chiffres préliminaires de mars, qui sont sortis récemment. On voit que l'économie est essentiellement au point neutre en mars. On s'attend à ce que l'économie devrait connaître un passage à vide, je vous dirais, au 2e, 3e trimestre de cette année, avec un marché de l'emploi qui continue de se dégrader. On voit que le taux de chômage augmente, qu’il est passé de 5 % en janvier, maintenant est rendu à 6,1 %. Donc quand même, on voit que le marché du travail ralentit. Ça enlève de la pression de sur l'inflation.
Martin Lefebvre
Quand tu parles de ralentissement ou de détérioration du marché de l'emploi, est-ce que vous envisagez
une récession en bonne et due forme pour le Canada?
Daren King
En bonne et due forme, je vous dirais, on pense encore oui, une récession, mais ça ne devrait pas être une grosse récession. C'est plus un passage à vide, une stagnation de l'économie plutôt, qu'on pourrait la qualifier. Donc on ne s'attend pas à des dommages nécessairement très importants au niveau de l'économie canadienne. Donc on ne s'attend pas non plus à ce qu'elle rebondisse directement quand les taux d'intérêt vont diminuer. Même si on s'attend à des baisses de taux, les taux d'intérêt vont demeurer quand même en territoire restrictif. Ça va quand même être un frein pour l'économie. C'est juste un frein un peu moins fort. Quand même, l'économie devrait… peut-être en récession technique, c'est quelque chose qui serait probable. Donc deux baisses consécutives du PIB, deux baisses trimestrielles. Ça demeure, quand même, pas beaucoup de dommages pour l'économie canadienne, comme je le disais tout à l'heure. Donc on est plutôt optimistes quant à la gravité de la récession.
Martin Lefebvre
OK. Donc la table est mise. La Banque du Canada devrait procéder prochainement à des baisses de taux.
Tu en as parlé toi-même. Donc vous pensez que ça pourrait arriver quand la première baisse?
Daren King
Ouais, on pense que certainement en juillet, c'est quelque chose qui va être fait, peut-être que ça pourrait arriver en juin. En ce moment, les économistes, on ne s'entend pas, je vous dirais; à peu près 50-50, les probabilités d'avoir une baisse en juin. On verra les données qui vont sortir d'ici ce temps-là, on va avoir des données d'emploi, ce genre de choses-là. Ça va nous donner une meilleure idée. Si le taux de chômage continue à augmenter plus fortement qu'on le prévoit, peut-être que ça pourrait arriver un peu plus tôt. Mais ça devrait être fait - si ce n'est pas en juin - en juillet, connaître une première baisse de 25 points de base. Par contre, quand même, la Banque du Canada a dit qu'ils vont être prudent à ce niveau-là. Je ne pense pas qu'il faut s'attendre à plusieurs baisses très rapides de façon successive. Je pense qu'ils vont avoir une approche plus : on fait une baisse de 25 points de base, meeting suivant, on prend une pause, puis autre baisse. Donc, ça nous amènerait à peu près à trois baisses de taux d'ici la fin de l'année, de 25 points de base, et, à peu près, quatre baisses de taux l'année prochaine, environ.
Martin Lefebvre
Je comprends. Donc on va y aller de façon prudente. On va évaluer la situation au cas par cas, puis ça prendrait vraiment, si je comprends bien ce que tu nous dis là, une détérioration marquée de l’économie canadienne pour qu’il y ait des baisses de taux successives à chaque meeting.
Daren King
C'est ça, exact. Si, demain matin, l'économie se met à vraiment mal aller, bien là, évidemment, on peut s'attendre à plus de baisses de taux, évidemment.
Martin Lefebvre
Si on regarde au sud de la frontière, Daren, on voit que l'économie américaine, elle, semble encore être tout feu tout flamme. On sait qu'il y a un gros impact, entre autres, de l'épargne excédentaire du côté des ménages, mais aussi des dépenses fiscales colossales qui ont fait en sorte que l'économie est restée à flot. Donc est-ce que ça peut arriver que la Banque du Canada baisse ses taux directeurs avant les États-Unis?
Daren King
Définitivement, je pense que c'est quelque chose qui est envisageable. Par contre, le gouverneur de la Banque du Canada a quand même dit qu'il y a un certain degré, quand même, qu'il faut respecter. Il ne faut pas s'attendre à ce que la banque du Canada diminue très fortement ses taux sans que la Fed le fasse. Je pense qu'on pourrait, de façon réaliste, espérer avoir peut-être deux, peut-être trois baisses de taux ici sans que la Fed en fasse aux États-Unis. Par contre, on s'attend quand même à ce qu'il va y en avoir aux États-Unis. Le problème qu'on a vu dans les dernières semaines ou mois, c'est de voir l'inflation aux États-Unis qui est un peu plus persistante qu'anticipée. Mais les données économiques récentes nous montrent que, finalement, la croissance économique est moins vigoureuse qu'on pensait que ça allait être, les chiffres du marché de l'emploi aussi. Donc on commence à avoir une économie américaine qui est un peu moins robuste, même si elle le demeure encore présentement. Donc on s'attend quand même à des baisses de taux aux États-Unis d'ici la fin de l'année, peut-être une, peut-être deux, peut-être moins qu'ici. Mais ça voudrait dire que la Banque du Canada pourrait continuer à baisser les taux à partir du moment où la Fed le fait aux États-Unis.
Martin Lefebvre
OK, donc ce n'est pas impossible que la Banque du Canada procède à des baisses de taux avant le pendant américain. Mais évidemment partir du moment où la Réserve fédérale va procéder elle aussi à des baisses de taux, ça pourrait faire en sorte que le la Banque du Canada un petit peu plus de latitude dans ces ajustements-là?
Daren King
C'est ça exactement, un peu plus de marge de manœuvre. Je pense que c'est ce qu'on va voir, définitivement. Je ne m'attends pas nécessairement une baisse du taux directeur aux États-Unis d'ici juin, juillet. Mais c'est définitivement les choses qu'on risque de voir au Canada.
Martin Lefebvre
Excellent. Donc, si on revient au Canada, évidemment, des baisses de taux, ça va avoir une incidence sur la relance économique. Comme tu l'as dit tout à l'heure, habituellement, ça peut prendre du temps avant que ça se manifeste, mais je pense qu’il pourrait y avoir un déclic au niveau des consommateurs. Mais ça va avoir un impact aussi, beaucoup, pour le marché immobilier canadien.
Daren King
Effectivement, je pense que ça peut avoir un impact assez important. Déjà, au début de l'année, quand qu'on anticipait des baisses de taux qui auraient pu arriver plus tôt dans l'année, le marché s'était déjà remballé en décembre, janvier, février. Ça s'est modéré un petit peu depuis, mais quand même, déjà, juste le fait d'avoir un narratif des baisses de taux potentielles avec moins d'incertitude sur le moment de ces baisses de taux, le marché était déjà reparti à la hausse. On a un peu plus d'incertitude. Ça s’est recalmé entretemps. Mais maintenant qu'on voit que des baisses de taux sont probables à l'été, je pense que ça va quand même repartir fortement dans les dans les mois à venir. Même si on a une dégradation du marché du travail, ça demeure quand même une relation, une dégradation qui est modeste. Donc les gens ont encore un emploi pour la plupart, ont accumulé du capital sur leur propriété, vont avoir des taux un peu plus avantageux, ça devrait l'être pour leur permettre d'être actif sur le marché. Donc je m'attends à un rebond du marché immobilier durant l'été et la fin du printemps. Par contre, je ne pense pas que c'est quelque chose qui va demeurer très longtemps. Évidemment, si on s'attend à ce que l'économie canadienne continue de ralentir, à un moment donné, il y a le choc de la réalité, donc il va avoir eu cette vague-là. Suite aux baisses de taux, il y aura eu probablement beaucoup de gens qui, dans la dernière année et demie, qui étaient un peu contraints par les taux d'intérêt qui étaient élevés, mais si l’économie se met à ralentir, une fois que cette vague-là va être passée, on pourrait s'attendre à ce que le marché reparte un peu plus au ralenti par la suite. Ce qui est particulier aussi en ce moment avec le marché immobilier canadien, c'est qu’au cours des quatre dernières années, pratiquement, on avait un seul gros marché immobilier qui évoluait tout dans le même sens, peu importe les villes. Et puis, historiquement, avant la pandémie, on disait : il n’y a pas un marché immobilier, il y a une multitude de plusieurs petits marchés immobiliers régionaux. Puis ce « motto »-là a été complètement effacé pendant la pandémie. Tout évoluait en même temps. Ce qu’on commence à voir, c'est justement de voir des disparités régionales, donc on voit qu'il y a des marchés qui performent beaucoup mieux, puis d'autres beaucoup moins bien. Calgary, en ce moment, ça va bien. Vancouver, on a eu un gros rebond, mais on restera à voir si ça se poursuit. Et quand on regarde un marché immobilier comme Toronto en ce moment, ce n’est vraiment pas très porteur, le taux de chômage à Toronto qui a augmenté beaucoup plus rapidement que la moyenne nationale, l'offre de condos qui n’a jamais été aussi élevée, donc avec des inventaires très, très élevés dans le marché de la copropriété. Ça commence à augmenter aussi dans ce segment-là des maisons unifamiliales. Donc un marché immobilier, à Toronto, qui pourrait être plus au ralenti qu'ailleurs étant donné évidemment le défi d'abordabilité qui demeure, puis aussi la forte croissance démographique qu'on connue, qui vient rajouter à certains endroits de la faiblesse au niveau du marché du travail parce que les personnes qui arrivent ne sont plus en mesure de se trouver un emploi aussi. Évidemment, y a une grosse proportion des nouveaux arrivants qui débarquent à Toronto, qui s'installent là, donc on le voit dans au niveau des données du marché du travail de ce côté-là.
Martin Lefebvre
Et Daren, il faut que je t'emmène sur cette pente glissante. On a beaucoup de questions là-dessus : les renouvellements hypothécaires. T'as parlé que, potentiellement, il allait y avoir une baisse. Mais même si on a une baisse, forcément, les taux d'intérêt restent quand même assez élevés pour des gens qui avaient contracté des hypothèques à des taux de 1,5 %, 2 % il y a 4-5 ans, donc il y a des renouvellements à venir. Comment vous jaugez ça dans l'impact que ça pourrait avoir au cours des deux prochaines années?
Daren King
Effectivement. Je suis allé regarder un peu les chiffres à quoi ça ressemblait au niveau des renouvellements hypothécaires. Quelqu'un qui a pris voilà 5 ans une hypothèque, en mai 2019, avait un taux de peu près 3, 65 %. Pour une hypothèque d'environ 500 000 $, ça lui faisait un paiement à peu près la 2500 $ par mois. Cette personne-là, si elle renouvelle aujourd’hui, avec des taux hypothécaires qui sont environ à 5 %, c'est un paiement de 2800 $. Donc c'est 12 % d'augmentation en réalité, 12 % d'augmentation sur 5 ans. Si vous regardez votre croissance des salaires, si vous avez vu à peu près 2 %, 2,5 % d'augmentation qui ne suivaient même pas l'inflation, pendant ce temps-là, parce que l'inflation était assez élevée, vous devriez encore être capable de payer votre hypothèque. En théorie, vos revenus ont augmenté aussi pendant ce temps-là. C'est sûr que le gros choc, ce n'est pas cette année, c'est vraiment l'année prochaine et 2026, où il y a beaucoup, beaucoup de gens qui ont pris des hypothèques pendant cette période. C'est à peu près la moitié, sinon plus, du portefeuille hypothécaire qui sera à renouveler, puis le choc va être plus élevé. Mais encore, je pense que c'est quelque chose qui va être gérable. Évidemment, toutes les institutions financières vont mettre des mesures en place pour accompagner leurs clients, ça, c'est sûr et certain. Les revenus vont avoir augmenté aussi pendant ce temps-là. Les gens, s’ils le savent, peuvent prévoir aussi à l'avance. Mais c'est sûr qu'il va avoir un coup à donner malheureusement. Il y a déjà des gens à taux variables qui l'ont déjà eu, ce coup-là. Il faut s'attendre aussi, peut-être, à que les taux d'intérêt vont baisser un petit peu. C'est sûr qu’ils ne redescendront pas à 2 %, c'est sûr, on oublie ça. Mais les taux d'intérêt fixes, par exemple, pourraient diminuer encore un petit peu, surtout si l'inflation aux États-Unis progresse mieux, on pourrait avoir des baisses dans le plus long terme. Ça pourrait aider justement à faire baisser les taux d'intérêt hypothécaires fixes d’ici ce temps-là. Mais quand même, il faut prévoir, dans son budget, d'avoir un paiement hypothécaire qui va être plus élevé au renouvellement, donc, pour le budgéter.
Martin Lefebvre
Donc beaucoup de dynamiques dans le marché. Il y a des éléments qui risquent d'entraîner un peu l'économie au ralenti. Mais il y en a d'autres, en même temps, qui devraient exercer des pressions à la hausse sur les prix. Et ça, c'est l'immigration, n’est-ce pas, qui a été quand même assez phénoménale au cours des dernières années au Canada.
Daren King
Ah oui, c'est plus que phénoménal. C'est complètement historique ce qu'on a connu. Juste pour te dire, Martin, c’est 1,3 million, la croissance de la population au Canada. C'est pratiquement 2 fois quand on avait rajouté Terre-Neuve dans la Confédération, c'est rajouter deux provinces en une année dans le pays. Évidemment, ça rajoute une pression sur le marché immobilier qui connaissait déjà un manque d'offre avant la pandémie, donc ce n'est pas une histoire de de de la dernière année que le manque de propriété au Canada était déjà un problème. Ça vient évidemment rajouter de la pression. Là, il y a eu plusieurs mesures qui ont été annoncées pour venir ralentir justement à la croissance de l’immigration, donc surtout au niveau des résidents non permanents, donc des nouveaux seuils qui vont être mis en place. Donc ça pourrait peut-être enlever un peu de pression, mais ça reste qu'il va falloir construire beaucoup de propriétés, même si on ralentit, juste pour être capable de rattraper toute la croissance qu'on a connue dans les deux, trois dernières années. Ça va avoir un gros impact pour les années à venir, donc je ne m'attends pas à ce que les prix des propriétés diminuent dans les prochaines années, même si les taux d'intérêt peuvent demeurer plus élevés que ce qui était avant la pandémie, là, ce manque de propriété là sur le marché va avoir un impact à la hausse sur les prix, c'est sûr et certain.
Martin Lefebvre
Daren, je te remercie beaucoup. C'est tout le temps qu'on avait ce matin. Alors pour vous à l'écoute, on va se reparler le mois prochain. Merci de vous être joint à l'appel.