(Traduction du balado enregistré en anglais)
Martin Lefebvre
Bonjour à tous et à toutes. Bienvenue et merci de vous joindre à ce balado BNI. Au micro, Martin Lefebvre, chef des placements chez Banque Nationale Investissements. Notre discussion portera aujourd’hui sur les objectifs de carboneutralité [aussi appelés net zero, en anglais] et leur impact sur l’économie. Pour cela, j’accueille Stephen M. Liberatore, gestionnaire de portefeuille chez Nuveen Asset Management. Bonjour Stephen, merci de vous joindre à nous.
Stephen M. Liberatore
Merci de l’invitation, Martin. Et merci à vous de parler en anglais. Je parle un peu français, mais très mal (rires).
Martin Lefebvre
Excellent, nous continuerons donc en anglais. Stephen, pour commencer, pouvez-vous expliquer le concept de carboneutralité et pourquoi il est crucial pour tout le monde?
Stephen M. Liberatore
La carboneutralité, cela peut être différentes choses, mais l’idée générale, c’est qu’il n’est pas nécessairement question d’éliminer toutes les émissions qu’on peut produire. Il s’agit plutôt de les compenser par d’autres facteurs ou processus, si bien que votre activité ou vous, comme entité ou personne, n’ayez pas d’impact sur l’environnement. Ce que vous acceptez de produire, vous le récupérez ou le réduisez d’une autre manière pour que votre existence n’ait pas d’impact important sur l’état de l’environnement.
Martin Lefebvre
Cela me semble logique. Quel est l’état des lieux? Quels sont les principaux défis et occasions à saisir pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050?
Stephen M. Liberatore
Le plus grand défi, c’est de mesurer. Quand on parle de carboneutralité, on entend divers concepts, comme portée 1, portée 2, portée 3, ou différents types d’émissions qui peuvent être mesurés. Les émissions de portée 1 et 2, c’est simple. Ce sont vos propres émissions et celles de vos fournisseurs directs. Mais, si vous êtes une usine, par exemple ou un prestataire de services, quelles sont les émissions des personnes avec qui vous travaillez qui vous fournissent des biens et des services? La véritable difficulté, c’est la portée 3, qui nécessite qu’on mesure l’impact des émissions tout le long de la chaîne, à partir du grain de café que vous achetez à un fournisseur pour préparer un café à votre bureau, par exemple. Et il peut être très difficile de parvenir à un tel degré de détail.
De plus, il y a un grand risque de compter les émissions en double voire en triple, parce qu’on ne sait pas exactement à qui et à quoi elles s’appliquent dans la chaîne d’approvisionnement. Le plus grand enjeu, c’est de savoir comment on mesure et comment on comptabilise. Et, dans un deuxième temps, le plus grand défi est de trouver des moyens de compenser vos propres émissions. Existe-t-il des moyens viables, de grande qualité, mesurables de réduire effectivement les émissions ou de les éliminer de l’environnement? Cela représente un problème double : calculer les émissions produites actuellement, puis accéder à des projets ou des actifs vérifiables quantitativement qui permettent d’être certain qu’on réduit ou élimine les émissions de l’autre côté.
Martin Lefebvre
Cette difficulté de mesure en fait-elle une sorte d’utopie ou s’agit-il simplement d’un défi qu’il faut surmonter? Et, question subsidiaire, pourquoi les banques se sont-elles retirées du projet de zéro émission nette à l’horizon 2050, ou était-ce 2035? Il y a là deux dates importantes, je pense, dont nous devons parler.
Stephen M. Liberatore
2035, c’est pour les banques et pour le financement. 2050 est l’objectif général plus large de réduction des émissions fixé par les Nations Unies. Je crois que le véritable défi est de s’assurer que chacun fasse ce qu’il sait faire le mieux. Et je pense que chacun à une approche un peu différente. Ça, c’est une des choses. On parle toujours de défi, mais c’est en même temps une occasion à saisir. Et ce dont nous parlons de bien des manières peut être subjectif, n’est-ce pas? Ce que vous considérez comme positif pour l’environnement, ce n’est peut-être pas ce que d’autres considèrent comme positif pour l’environnement. Le véritable enjeu est de savoir comment on produit, dans notre cas, des occasions d’investissement qui démontrent réellement une capacité de réduire effectivement les émissions.
Nous avons une variété de projets différents, par exemple des échanges dette/nature, où le capital sous-jacent est utilisé pour des projets bénéfiques pour l’environnement et qui sont également reliés à des occasions environnementales à saisir. Nous avons notamment participé à la reforestation et à un entretien plus adapté et durable de forêts, par exemple. La clé, c’est de réussir à dénicher des occasions auxquelles est associé un avantage financier. Ainsi, on peut avoir un bon motif ou thèse d’investissement, mais aussi produire des résultats de grande qualité dont on peut être satisfait.
Je pense à une opération que nous avons réalisée récemment dans laquelle nous avons fourni un financement pour un projet de reforestation en Amazonie. Dans ce cas, du capital a été fourni à une société implantée au Brésil appelée Mombak pour acquérir des terres déboisées en Amazonie ou travailler avec les propriétaires officiels, procéder à l’analyse appropriée, à l’analyse scientifique, à l’analyse topographique et trouver la bonne combinaison de flore et de faune pour restaurer l’état original de ces terres. Et il ne s’agit pas seulement d’acheter des terres et de planter quelques eucalyptus, parce que ces arbres poussent le plus vite. Ils meurent aussi au bout de cinq ans parce que l’espèce n’est pas indigène.
C’était une approche réellement réfléchie de remise à l’état sauvage. Et après trois ans, on peut commencer à vérifier, faire un audit, produire de véritables crédits pour l’enlèvement du carbone achetés, en l’occurrence, par Microsoft. C’est une occasion de démontrer une réduction réelle du carbone en créant effectivement des puits de carbone qui donnent lieu à des crédits carbone de très grande qualité, parce qu’ils ont été audités. On les trouve sur le site web Verra [un organisme à but on lucratif international qui fixe des normes pour l’action climatique et le développement durable] et ils sont achetés par une société comme Microsoft, attachée depuis longtemps au marché des crédits carbone, par exemple.
Martin Lefebvre
Vous parlez de carbone. Pourquoi la taxe carbone n’a-t-elle pas fonctionné? Le Canada parle de l’éliminer. Quelle est votre réflexion à ce sujet?
Stephen M. Liberatore
C’est une bonne question. Qui nous ramène à une des théories économiques de base : il faut taxer ce dont on ne veut pas que cela se produise et ne pas taxer des choses qu’on veut encourager. Et je pense que la taxe carbone est une question difficile parce qu’il s’agit d’un calcul relativement complexe. Je crois que c’est parce qu’il y a tellement de considérations externes associées à ce qui constitue un niveau approprié de taxe carbone. Sans une explication claire et concise, je crois que le public est moins en mesure de la comprendre et donc la soutient moins. Parce qu’on ne comprend pas directement pourquoi on est taxé d’un montant X si on ne comprend pas la base de X. Il y a une connotation générale négative partout où il y a une taxe supplémentaire, n’importe quelle taxe. Je pense que si on ne peut pas exposer clairement et simplement pourquoi il faut payer la taxe sur quelque chose en particulier, bien ou service, les gens y adhèrent moins.
Martin Lefebvre
En termes d’adoption, pouvez-vous nous parler que quelques études de cas où des pays ou des sociétés ont fait des pas importants vers la carboneutralité?
Stephen M. Liberatore
Je pense que vous verrez qu’il y a un éventail de moyens différents d’y arriver. Vous le verrez principalement dans les grandes entreprises de services publics, et ce à la fois sur les marchés développés et émergents. On a constaté une transition générationnelle des portefeuilles vers l’énergie renouvelable éolienne, solaire, hydraulique, et une augmentation du géothermique et, en certains endroits, aussi du nucléaire.
On commence également à voir un éloignement de l’utilisation des seuls combustibles fossiles dans tout le réseau électrique d’un pays pour inclure de plus en plus de renouvelable, ce qui est bénéfique pour les émissions en général. On a aussi vu certains secteurs – la technologie, par exemple, qui en est un grand, les centres de données aussi – où la croissance et les activités tendaient à les rendre carboneutres grâce à des contrats d’achat d’électricité uniquement renouvelable, par exemple. C’est un autre secteur où on a constaté une amélioration importante en ce qui concerne la composition générale des sources d’électricité.
Pratiquement tous les secteurs de l’économie mondiale cherchent des moyens d’améliorer leur efficacité énergétique et se fient moins à l’électricité globalement, en essayant de se tourner davantage vers le renouvelable. Et j’aimerais pouvoir vous dire, Martin, que c'est parce que chacun reconnaît le fait que le réchauffement de la planète et le changement climatique sont d’énormes menaces pour notre espèce, mais ce n’est pas le cas. C’est parce qu’il revient moins cher d’utiliser de l’énergie renouvelable, particulièrement à l’échelle des entreprises de services publics. Et selon l’endroit où on se trouve dans le monde, la topographie et l’environnement, cela peut être du solaire ou de l’éolien, mais ce sont là deux technologies. Ce ne sont pas des coûts de combustible.
C’est le même concept qui s’applique à l’amélioration des semi-conducteurs, la loi de Moore. Et je m’excuse auprès du scientifique qui a inventé cela, car je n’arrive jamais à me rappeler son nom, mais on pense aux panneaux solaires, l’efficacité due à chaque génération de panneaux solaires ne fait qu’augmenter avec le temps. Ils deviennent de moins en moins chers à utiliser et produisent de l’électricité moins chère, parce que là encore, il n’y a pas de combustible. Pareil avec l’éolien. Ces technologies deviennent plus productives, plus efficaces avec le temps. On voit baisser les coûts d’entretien, et baisser le coût d’investissement.
C’est pourquoi nous considérons les choses comme nous le faisons en tant que gestionnaires d’actifs. Tout cela revient à la production de flux de trésorerie disponible stables. Du côté des titres de dette, la manière d’être sûr d’être remboursés, c’est de s’assurer que l’émetteur est en mesure de payer. Si on peut se focaliser sur des projets, des actifs, des stratégies qui génèrent des flux de trésorerie disponible stables avec le temps, c’est tout bénéfice pour nous comme investisseurs en obligations, où les résultats sont asymétriques. On nous paie le montant nominal et un coupon. Si nous sommes en mesure de trouver de tels émetteurs, qui, avec le temps, deviennent des producteurs de flux de trésorerie disponible plus stables, ce qui implique que leur risque a été réduit, cela signifie que nous sommes rémunérés à la date de l’opération pour une entité plus risquée qu’elle finit par l’être la longue et c’est ainsi qu’on génère un rendement excédentaire.
Martin Lefebvre
Quels sont les pays champions dans ce domaine? On entend souvent dire que les pays européens sont en pointe dans ce rôle...
Stephen M. Liberatore
Oui. C’est effectivement l’Europe. Elle a jusque-là été beaucoup plus focalisée sur la transition pour abandonner les combustibles fossiles. Elle a aussi plus de problèmes potentiels de défense et des problèmes de sécurité nationale, puisque l’essentiel de ses combustibles fossiles provient de Russie, notamment son gaz naturel. Je pense que ces pays étaient concentrés sur la transition pour s’affranchir des combustibles fossiles, pas seulement en termes de coût environnemental, mais aussi de sécurité nationale.
Martin Lefebvre
Une dernière question. Vous avez mentionné les investissements. Comment voyez-vous les investisseurs et les conseillers soutenir la transition de l’économie?
Stephen M. Liberatore
Je pense qu’une des choses que nous avons vues croître réellement vite – et je peux parler du domaine des titres à revenu fixe –, c’est que l’actif sous gestion des stratégies de revenu fixe durable continue d’augmenter rapidement. Nous continuons d’enregistrer une croissance plus rapide que les stratégies non durables sur le marché obligataire. Les investisseurs recherchent ces occasions parce que l’une des mesures directes clés réelles du rendement des titres à revenu fixe est liée à ce concept de stabilité des flux de trésorerie disponible. Si on s’appuie sur les considérations d’impact ou les considérations environnementales, sociales et de gouvernance, ce qu’on recherche, ce sont des équipes opérationnelles et de direction qui intègrent davantage de stratégies durables avec le temps parce qu’elles deviennent plus efficaces économiquement et génèrent plus de flux de trésorerie disponible. Je pense que cette corrélation directe entre la durabilité et la production de flux de trésorerie disponible se manifeste bien dans le secteur obligataire et a attiré davantage d’investisseurs. Là encore, si on s’y prend bien.
Martin Lefebvre
Nous arrivons au terme de notre entretien. C’était un aperçu rapide du monde de la carboneutralité. Je pense que vos commentaires sont très éclairants. Merci beaucoup de votre participation, Stephen.
Stephen M. Liberatore
Merci de votre invitation, Martin.